Voix déglinguée
bien incapable de dire
et l’amour et l’émotion
bien incapable d’articuler
de rassurer déjà
d’expliquer le vent fou
et le ciel et la peur
on verra ça plus tard.
Mai sur la peau, recueil à paraître.
Jean-Baptiste Pedini
Voix déglinguée
bien incapable de dire
et l’amour et l’émotion
bien incapable d’articuler
de rassurer déjà
d’expliquer le vent fou
et le ciel et la peur
on verra ça plus tard.
Mai sur la peau, recueil à paraître.
Un appel en absence
non on ne répond de rien
la nuit est grasse et accueillante
alors elle glisse des mains
on fait comme si c’était normal
de tourner pendant des heures
autour de soi
à l’affut d’une enfance
déjà dévorée de toute part
non on ne répond pas
les dents saignent comme les rues
à l’approche de l’aube
et c’est seul que l’on va
sur cette route un peu trop large.
Le soleil au matin
déjà en équilibre
sur la fenêtre
et dans l’œil
on arrive à le perdre
ainsi
c’est un autre jour qui va
avec sa peau neuve
et son manque de tenue
un jour de rien
sans vaguelettes
sans coups de chaud
rien que du simple
et pourtant
on voit le blanc s’étirer
juste là
napper les corps
de mots glaçants
de ces mots
chuchotés seulement
on entend peu
alors
on ne veut pas.
L’enfance s’est enlisée tout près. Le chien aboie dans le jardin et chaque rafale le fait bondir. C’est comme ça que les cœurs se détraquent. Dans l’angoisse d’un matin où les gamins s’ennuient, où l’eau s’épuise dans leur sillage, où chaque sursaut rassure. On en est là.
A paraître en mai 2016 aux éditions L’Arrière-Pays
Ce sont de grandes baies vitrées qui brillent là-bas. Ou peut-être les bottes de foin. Le soleil s’étale partout.
A la va-vite, on a enfilé un masque. Une paire de gants taillée dans l’air. Une tenue de camouflage pour échapper à soi. Un été trop lointain. Les tournesols têtes dressées.
Et si ça dure. Si on reste inconnu à notre propre douleur. Si aucun tremblement ne vient. Si ça dure, on laissera scintiller l’eau. Le bleu reprendre un peu d’éclat.
Capter les odeurs du dehors. Faire de la chambre un verger dans lequel la clarté restituent le parfum des fruits.
Le silence s’étire alors comme une peau fragile. Les ombres reprennent leur souffle. Et chacune à leur tour les images de l’enfance tombent sur le bord du chemin. Couloir aux tâches rouges. Noyaux juste visibles quand le jour croule en avalanche.
S’en dégager en toute hâte. Ne garder des souvenirs qu’un arrière-goût de pêche blanche.
Restes de nuit
entre les dents
réminiscence peut-être
une écume dense
se propage
et ce n’est pas la langue
qui colle
pas non plus
ces glottes noires
ces brisures de mots
encore
non
ce n’est pas la langue
qui entrave
peu de place
de toute façon
peu de distance
entre début et fin
restes de nuit
entre les dents
et derrière soi
l’enfance
un bol de lait tiède.
Extrait d’un ensemble de poèmes publié dans le n°28 de la revue N47.
On ne sait pas ce qui vient. De la peur en écho. Un cornet de bêtises. Des griffures sur le dos du matin. Un sillon sur la joue. Une pluie si soudaine qu’elle laisse des flaques sur l’horizon. Les nuages sont alors comme des parapluies qui se déplacent dans les collines, puis se referment brusquement. Et on est là, enfin trempé. On rit. On laisse les souvenirs infuser, en serrant fort chaque regard contre nos torses nus. Le jour se lève lentement, et on ne sait pas ce qui vient. Un train lancé à vive allure à la poursuite de l’été. Le calme insensé du dimanche. Un tout petit morceau d’enfance coincé entre deux pans de ciel.
Tout se détend après la nuit. Les enfants rient, rampent tant bien que mal dans une lumière tiède, cherchent à saisir le soleil comme l’encre d’un rêve. Tout se détend, et pourtant quelque chose rature l’horizon. Le vent vient par à-coups mais curieusement personne ne regarde le ciel. C’est ici que l’on est. Les mains sales. Un trou dans la langue. Le cœur recomposé comme un patchwork de peurs et de nuages bas, de tendresses, d’éclaircies éphémères, de chutes de clarté. Tout se détend et se réchauffe et déjà on redoute le premier degré. Le brouillard. Les fumées noires sans feu. On ouvre les fenêtres mais on n’y voit plus rien. Juste la Une frissonnante d’un matin de janvier.
C’est du noir que l’on vient. Du manque de profondeur, de cette sérénité qui lentement dégorge du bois de la jetée. Un soleil timide apparaît et essore le ciel. Les dernières gouttes de pluie semblent agripper l’horizon, s’accrocher à ces instants sombres que le corps couve secrètement, les ramener à quai. Pourtant on ne bouge plus. On cherche à distinguer le phare dans les vapeurs d’obscurité. Et quand un rayon sans éclat s’étire sur l’océan, c’est tout le matin qui remonte. Les pieds font des traces rouges dans le sable. Les yeux se décollent des rêves. Et la mélancolie reste suspendue loin derrière. Comme baignée d’absence. Rincée par la lumière.
A paraître aux éditions La Porte